C'est en 1544 que l'on commence à entendre parler dans la région de moines-prêcheurs qui s'adressent à la population l'entretenant dans l'hérésie luthérienne à St-Etienne d'Arvert, mais aussi à Saint-Just, Saintes et Oléron.
Depuis 1543, l'Université de Paris impose aux religieux de tous ordres, une confession de foi strictement orthodoxe s'efforçant à enrayer le mouvement réformateur en dispersant le petit nombre de prêtres et de moines séduits par les idées nouvelles. Ceux qui ne veulent pas signer ces articles de foi sont chassés de leur lieu de ministère. Les plus déterminés se dirigent vers des lieux reculés pensant y trouver la liberté d'exprimer leurs idées réformistes. Cinq d'entre eux se fixent ainsi en Saintonge : Philippe Barat à Saint-Just, près de Marennes, frère Nicole Courcel à Arvert, frère Hubert Robin à St-Denis d'Oléron, Philibert Hamelin à Saintes et frère René Macé à Gémozac.
extrait d'une carte de 1670
collection Jacques Daniel avec son aimable autorisation
Conservant leurs habits ecclésiastiques pour écarter les soupçons des autorités locales, ils prêchent généralement dans les églises. En semaine ils font la classe aux enfants et introduisent dans les familles la toute récente traduction en français du Nouveau Testament favorisant ainsi la diffusion de "la subversion" auprès des classes les plus lettrées. Appréciés et respectés de tous ils incarnent la simplicité et l'idéal évangélique dont le clergé établi s'est fort éloigné.Certains auteurs pensent qu'ils ont aidé la population à assécher les marécages pestilentiels pour en faire des marais exploitables.
Leur prédication se situe essentiellement à deux niveaux : ils dénoncent les excès et la décadence de l'Eglise et appellent à un retour à l'idéal évangélique. Cet appel à une juste rébellion contre les abus ecclésiastiques est entendu avec intérêt par une population habituée à se révolter contre tout ce qui représente le pouvoir. En quelques années un mouvement religieux réformiste se dessine. A cette époque, l'évêque de Saintes, Tristand de Bizet semble avoir protégé, sinon encouragé ces pionniers luthériens d'autant que ces moines-prêcheurs n'avaient nullement l'intention de fonder une nouvelle Eglise. Mais leur succès populaire inquiète suffisamment les autorités pour qu'elles délèguent un procureur chargé de faire taire les fauteurs de trouble.
Les cinq prêcheurs sont arrêtés, Philippe Barat et Philibert Hamelin en sont quitte pour un bannissement car ils ont fait amende honorable; Hubert Robin réussit à s'enfuir et ne reviendra pas dans la région ; seul René Macé et Nicole Courcel, persistant dans leur conviction sont exécutés en 1546, soit deux ans après leur arrivée dans le Pays . Aussitôt l'évêché délègue dans la région de nouveaux prêcheurs pour manifester l'existence d'un clergé officiel honorable - qui existait sans nul doute-, et remplacer les curés pervertis et ignorants. Privés de leurs prédicateurs "luthériens", refroidis par la répression, les nouveaux adeptes hésitent à manifester ouvertement leur adhésion à ces propositions de changement radical. Il faut attendre sept ans pour entendre à nouveau quelques échos de ce qui va bientôt devenir un véritable mouvement populaire.
L'un de ces moines-prêcheurs, Philibert Hamelin, contraint à l'exil, se réfugie à Genève. Il y devient imprimeur, et se forme au ministère pastoral, avec une centaine d'autres que Calvin destine à prendre en charge la réforme de l'Eglise en France. Il s'agit là d'un réel tournant théologique qui est en train de s'amorcer. Aux élans réformistes des moines-prêcheurs de 1544, se substitue la volonté d'édifier une nouvelle Eglise, structurée selon le modèle établi par Calvin à Genève.
Début 1554 CALVIN désigne HAMELIN pour aller édifier les églises réformées en Saintonge. Il ne s'agit plus de la tentative de réforme de l'intérieur initiée par Luther, mais de la fondation d'une nouvelle Eglise.
En deux ans Philibert Hamelin organise les communautés d'Arvert, de Marennes et de Saintes prêchant également à Oléron. La demande locale et le succès de sa mission sont tels que, très rapidement, il demande que Genève lui envoie du renfort. Mais en 1556, soit dix ans après sa première incarcération, il est arrêté par le pouvoir royal et accusé d'avoir baptisé un enfant dans l'église d'Arvert (l'évêque de Saintes ne pourra tolérer cet acte et se déplacera en personne pour rebaptiser l'enfant). Jugé et condamné, Hamelin sera exécuté le 12 avril 1557. Mais il faut savoir que l'évêque Tristand de Bizet, qui s'était montré compréhensif en 1544 à l'égard de la prédication luthérienne, même s'il ne pouvait pas suivre l'évolution calviniste d'Hamelin, gardait une attitude ambiguë . Après sa condamnation, Hamelin devait être dégradé de son état de prêtre par l'évêque du lieu avant d'être exécuté. Mais celui-ci refusa de se déplacer pour cette cérémonie et c'est l'évêque de Grasse qui du s'en charger. (moyennant 20 écus payés par son collègue de Saintes ! )
Mais d'autres prendront la relève, Charles Léopard à Arvert en 1559, Charles de la Fontaine à Marennes en 1558.
Malheureusement, une fois de plus, courant 1559 et 1560, la répression oblige La Fontaine et Léopard à entrer en clandestinité et à parcourir les routes des îles pour échapper à l'arrestation : un effet heureux de cette errance forcée permet à La Fontaine de rayonner plus amplement sur Oléron et St- Sornin, à Léopard de prêcher à Mornac et de créer une église à Saujon. Sous la régence de Catherine de Médicis deux autres années de calme (1561-1562) rendront possible l'implantation définitive de l'Eglise réformée.
En Charente-Maritime le succès de la doctrine réformée est impressionnant, en témoigne la multiplication des églises, puisqu'en 1562, (trois ans à peine après le premier synode, à Paris en 1559) on en recense déjà cinquante desservies par trente-huit pasteurs. Dans les Iles de Saintonge huit églises sont établies - Marennes (1558), Arvert (1559) (La Tremblade n'est encore qu'une bourgade d'Arvert), le Château et Saint-Pierre d'Oléron (1560), Saint-Denis d'Oléron (1561), Mornac, Saint-Just et Hiers-Brouage (1562), et entretiennent quatre pasteurs dont deux à Oléron.
Le message central des Réformateurs - la justification par la foi seule en Jésus-Christ et non par les oeuvres - est entendu comme libérateur, au sens fort du terme, par une société angoissée, tourmentée par l'idée de damnation éternelle et des oeuvres à accomplir pour y échapper. L'annonce à des populations, même illettrées et misérables, que leur salut est l'affaire de l'amour et de la grâce de Dieu, en un mot qu'il est gratuit, les libèrent d'un joug terrible. En contre-partie, la Réforme se montrera exigeante, parfois à l'excès, avec ses nouveaux convertis qui, sauvésgratuitement, n'en rechercheront pas moins un idéal de vie proche de l'idéal évangélique. Le converti, à la rigueur légendaire, est animé du sentiment profond de son péché et du pardon par la seule grâce et refuse toute licence. L'apparition de la Réforme au pays des Iles de Saintonge y provoqua très vite une moralisation des mœurs et le développement de l'instruction.
Puisque tous doivent pouvoir accéder aux Ecritures et que l'invention de l'imprimerie permet la diffusion de la Bible, les écoles se multiplient, celles de Marennes seront les plus importantes du secteur.
Par cette lecture assidue, les fidèles aperçoivent qu'ils ne sont plus sous la tutelle du Dieu terrible et vengeur dont les menace le clergé pour mieux les dominer. Non, ils sont libres, Dieu leur a confié sa création, ils peuvent prendre en main leur destin, oser l'aventure, entreprendre - à leurs risques et périls - inventer, jouir de la vie.
L'apparente facilité de ce programme paraît conduire tout droit à l'anarchie, et pourtant comme nous venons de le dire les protestants ont acquis une réputation de sérieux voire d'austérité.
Les richesses matérielles et spirituelles acquises par le travail et les compétences appartiennent à Dieu et sont au service du prochain. L'homme doit rendre compte à son sauveur de l'usage qu'il fait de sa liberté et de la gestion de la création qui lui a été confiée. On aperçoit là que la prédication réformée a introduit une nouvelle culture qui entraîne les hommes à un dynamisme efficace notamment en matière économique.
Dans notre région ouverte sur la mer, terre de refuge en temps de persécution et en contact avec les pays protestants (notamment les bateaux hollandais venant chercher le sel à Brouage) les succès de la Réforme sont foudroyants. L'adhésion massive d'une population au fort particularisme, souvent misérable et donc assoiffée de libération et de pureté, et celle d¹une petite noblesse locale conduit rapidement à l'organisation de communautés structurées et agissantes dans la société.
Les réformés deviendront très vite les autorités économiques des villes et des villages. En1544, aucune présence de la Réforme n'est attestée dans la région, en l576, près des trois quarts de la population s'est convertie.
Mais au niveau national, l'action des Guises qui organisent le massacre de Wassy, en 1562, sonne le glas sinon d'une possible réconciliation du moins d'une entente cordiale entre catholiques et protestants ( jusqu'en 1561, à La Rochelle, les deux communautés célèbrent le culte dans un même lieu à une heure d'intervalle). Après 1562 le fossé est irrémédiablement creusé. En effet, le succès de la Réforme est allé de pair avec l'adhésion d'une partie de la noblesse, très vite en opposition avec la ligue des Guise qui veut l'extirpation du protestantisme. Une égale ambition du pouvoir anime les deux factions qui font de ce massacre le prétexte à l'affrontement. Les conséquences en sont bien connues : excès, destructions, misère, famine, luttes d'influence, le prix étant toujours payé par le petit peuple.
La religion n'était pas la cause réelle de cet affrontement, d'ailleurs au seizième siècle, les contemporains disent "guerres civiles", "troubles intérieurs"; ils ne parlent pas de guerres de religions, appellation qui n'apparaît que chez les historiens du dix-neuvième siècle. La religion représente seulement une dimension de ces conflits qui ont pour enjeu la conquête et les modalités d'exercice du pouvoir.
Dans les Iles de Saintonge, Oléron, point stratégique face à La Rochelle, sera l'enjeu de violentes batailles ; Marennes et la presqu'île d'Arvert seront plus épargnés. Lorsqu'en 1588 les guerres prennent fin, les armées catholiques et protestantes se seront équitablement partagé victoires et défaites dans une égalité d'excès et de violence. On se doit cependant de remarquer que, lors même des victoires catholiques, le culte protestant ne sera que rarement interdit, attendu, dira un militaire catholique de l'époque, que la majorité de la population est de la religion prétendue réformée... et qu'il convient donc de la ménager. Ainsi, alors même que les guerres de religion -ou d'influence pour le pouvoir - font rage, un état des églises réformées de 1576 indique une progression sensible par rapport à 1562. Il y a désormais en Charente-Maritime 82 lieux de culte, 60 pasteurs, une soixantaine de communautés représentées au synode.
L'Edit de Nantes va stabiliser cette situation ; jusqu' à l'Edit dit de tolérance en 1787 le sort du protestantisme saintongeais est lié à celui de La Rochelle, l¹une des plus importantes place de sûreté que l'Edit de 1598 accorde aux protestants. Jusqu'en 1628, le protestantisme connaîtra trente années d'épanouissement relativement serein à défaut de croissance numérique, puisque l'Edit interdit aux protestants tout prosélytisme.
le prêche au désert
Cette période de calme ne pouvait durer, toujours soucieuse de sauvegarder le pouvoir absolu du souverain et inquiet de la prospérité des protestants la royauté revint à la charge pour éradiquer le protestantisme du royaume.
En1628 le siège et la reddition de La Rochelle, marque "le commencement de la fin" pour le protestantisme, l'étouffement à petit feu. Dès 1630, le culte est interdit à Oléron, en 1640 à Arvert : même si ces mesures seront provisoirement suspendues, et ce jusqu'à la date fatidique de 1685, le recul protestant est avéré. La reconquête d'0léron est déjà faite, l'île n'aura plus de pasteur à demeure et restera sous l'étroite surveillance du pouvoir.
A l'accession au trône de Louis XIV les brimades et privations se multiplient, fermant aux protestants dès 1665 les fonctions de sages-femmes, médecins, imprimeurs, capitaines, avocats, leur interdisant de sortir les bateaux de sel de la Seudre, permettant aux enfants de se convertir à la religion catholique dès l'âge de 7 ans...
Louis XIV va atteindre le sommet de la prétention au pouvoir absolu et de la centralisation. La mémoire collective garde vivante l'intensification et l'amplification de la répression dès 1685 : conversions forcées, fuites à l'étranger, destruction des temples, dragonnades.
Certains intendants, prélats et prêtres s'efforçaient de mettre fin à ces pratiques qui ne faisaient que renforcer la résistance des huguenots et les conduire à des fausses conversions voire à la tentation de la violence. L'un d'eux écrivait qu'en obligeant des gens à confesser faussement la foi catholique on les contraignait au blasphème et qu'au lieu d'être sauvés ils étaient au contraire plus sûrement damnés !
Il se trouvaient des curés pour délivrer de faux certificats de mariage soit par humanité soit pour de l'argent. Ils encouraient des peines sévères tel Louis Montfort curé d'Annezay condamné le 19 novembre 1746 marqué au fer rouge et envoyé aux galères à perpétuité.
le prêche en mer
Dans ce sombre tableau, les Iles de Saintonge apparaissent comme longtemps épargnées. Terres de recrutement des marins du roi, les côtes de Saintonge seront ménagées jusqu'au dernier moment, D'autre part les larges ouvertures sur l'océan, dont la Seudre, mieux encore qu'aujourd'hui reliée à la mer, constituent des points d'embarquement pour les nombreux protestants du Poitou, du centre, et bien sûr de Saintonge qui choisiront l'exil.
C'est la population la plus humble, celle qui n'a pas les moyens de s'enfuir qui gardera vivants les foyers du protestantisme aux assemblées du désert, à Plordonnier, Breuillet, par exemple, ou dans les marais, Arthouan, St-Just, un pays des îles qui sera aussi le premier construire des maisons d'oraison appelées souvent temples-granges dont l'ancien temple (désaffecté depuis) d'Avallon à Arvert. constituent les vestiges.
La mort de Louis XIV n'arrêta pas les persécutions, mais, sur le terrain il n'était pas plus facile aux officiers de la maréchaussée d'obtenir des arrestations. En juin 1730 Jacques de la Barre de la Veissière de Larrivaux Seigneur de St-Sulpice et de Bellemont capitaine général garde cote de la capitainerie de Royan rend compte au Comte de Maurepas qu'il a été informé que la maréchaussée de Marennes avait manqué deux prédicants qu'on m'a assuré voir à passer la rivière Seudre et s'estre jetés dans l'isle d'Arvert. Le Capitaine explique qu'il a mis trois hommes en campagne pour les rechercher et qui sont les seuls que je connaisse dans la capitainerie à qui je puisse confier ce fait là.
C'est dire que peu de gens étaient prêts à coopérer avec les gens du Roi pour pourchasser les huguenots, les dénonciations viennent de quelques curés fanatiques ou fonctionnaires soucieux de se faire valoir pour obtenir les grâces du pouvoir.
Bientôt, ce pouvoir royal va être contesté, les protestants de la région vont prendre une part active à la Révolution, tout au moins la Révolution des droits de l'homme et des libertés. Tout d'abord, avec des consultations des paroisses, nous dirions des villages. La rédaction définitive des cahiers de doléances de la sénéchaussée de Marennes destinés aux Etats généraux de 1789 est confiée à Pierre Isaac Garesché, issu d'une puissante famille de marchands de la rive droite de la Seudre. Celui-ci, ainsi qu'un autre protestant, Guibert, est élu représentant du tiers état. Il assistera à la réunion du jeu de Paume où il prêtera le célèbre serment . Membre de l'Assemblée nationale où il participe à la commission des finances et à celle des colonies, il refuse le mandat de député à l'Assemblée constituante. Bien lui en pris car les Girondins furent tous guillotinés dont Dechezeaux de l'île de Ré qui l'avait remplacé.
Pierre Isaac Garesché
Peu de temps avant la révolution, en 1787, Louis XVI avait accordé un Etat civil aux protestants. Mais cet édit, dit très improprement de tolérance, ne fut ratifié par le parlement de Bordeaux qu'en 1789. Dans un premier temps, les protestants bénéficièrent de la tolérance introduite par l'article de la déclaration des droits de l'homme précisant que nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses. Mais la terreur proscrira tous les cultes autres que celui de l'être suprême.
Il fallut attendre la signature du Concordat par Napoléon Bonaparte, pour que la véritable liberté de conscience soit reconnue et que les cultes non catholiques (Protestant et Israélite) acquièrent une reconnaissance légale.
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