Souhe

NAISSANCE ET DISPARITION D'UN TEMPLE

        Dans notre pays de Saintonge maritime existe un petit village retiré des grands axes, sentinelle de l'ancien marais salé, ignoré de beaucoup, pas très loin de la Seudre, mais qui offre aux curieux un intéressant passé. Refuge des protestants pourchassés par les sbires du Roi, très difficile d'accès, il est un peu un havre d'espoir pour une population fidèle à sa foi.

Il s'agit du village de SOUHÉ-du-GUA.

       De tout ce passé il ne reste plus grand chose, le temps ayant fait son œuvre. Situé dans la Commune du GUA, SOUHÉ est partagé spirituellement entre Rochefort, Nieulle, Luzac et Marennes, mais jamais avec Le GUA, fief très catholique.
       Tout allait bien à SOUHÉ au siècle dernier, pourtant il manquait quelque chose à ce petit village et à sa population entièrement protestante : un temple !

       Notre histoire commence en 1826, Charles X régnant ; dans son ombre les jésuites se glissent sournoisement dans la politique française.
       Peu importe, à SOUHÉ les protestants veulent un temple; ils le demandent au sous-préfet. Celui-ci transmet demande et étude au conseil municipal du GUA, qui va gravement délibérer sur la question : y a-t-il utilité ou inutilité de construire un temple à SOUHÉ ?
       Des réparations ayant été faites à l'église catholique, les caisses communales sont vides, l'argent manque terriblement. Pourtant, et afin de ne pas désespérer nos souhards, on leur fait miroiter une rentrée d'argent vers 1830, rentrée qui servirait en partie au projet temple.
       A cette époque, le pasteur Castel vient de Rochefort, et chaque visite coûte 3 F pour l'aller et 3 F pour le retour, soit environ 75,30 F par an tout compris.
       Afin de faire patienter les esprits, en 1829, un plan et devis pour la construction d'un temple est présenté aux fidèles. Il est grand temps car les réunions se font dans un local particulier d’une très grande vétusté, et même en complet délabrement (cf. photo).
       Ce nouveau temple doit coûter 9.555,92 F. En cherchant partout des recettes, on arrive seulement à 9.092,25 F, il manque donc 463,70 F !
       Qu'importe, le temple se construit. Le 24 décembre 1830, Monsieur l'agent des travaux d'art de l'arrondissement de Marennes (personnage important rien qu'à lire son titre !) constate officiellement l'achèvement de l'édifice.
   Quelques travaux supplémentaires sont faits et finis pour le 13 mai 1831, date de finition retenue par Jean Saurin, juré en sel, délégué des protestants de SOUHÉ, membre du consistoire.
   Le 6 juin, le sieur Berthelin, charpentier à La Tremblade, à qui il avait été reproché quelques malfaçons, demande à être payé de la somme de 6.070 F pour travaux exécutés sur la charpente du temple, achevé d'après lui en décembre 1830.

Cette somme devait être réglée de la manière suivante :

  • 1°) 1/3 de la somme à la moitié des travaux ;
  • 2°) 1/3 de la somme pour les travaux achevés en 1830 ;
  • 3°) 1/3 de la somme trois mois après achèvement et réception des travaux.

        Jean Saurin prétend les travaux finis en mai, donc payables en août, alors que Berthelin prétend avoir fini en décembre, constat ayant été fait par l'agent, donc payable en mars.
       D'où contestations, discussions, non conciliation et finalement procès.

10 juin 1831
        Berthelin, par l'intermédiaire de son avocat, attaque Jean Saurin. Le juge renvoie l'affaire pour non-conciliation.

20 juin 183l
        Berthelin réattaque Saurin, qui est assigné à comparaître. Force reste à la loi, et seule est retenue la constatation faite par l'agent du gouvernement en décembre l830. La date des trois mois est donc écoulée. Saurin perd le procès, est condamné à payer de suite 2.183,64 F à Berthelin, puis à régler en plus 113 F, les intérêts de la somme de 2.183,64 F, et est condamné aux dépens.

        Tout ceci n'arrange en rien les finances des souhards, qui croyant gagner 20 sous en perdent 40.
Après ce procès, le consistoire de La Rochelle annonce l'accord du ministre pour une somme de 600 F afin de solder les travaux du temple, les souhards n'en pouvant plus.

        Six ans plus tard, nos irréductibles protestants de SOUHÉ, non contents d'avoir un temple, désirent un pasteur pour compléter leur communauté, ... et gêner les catholiques qui les encerclent (Le Gua, Nieulle etc.).
        Devant ce manque de pasteur en place, en 1846, pour la somme de 3 F, il est planté deux tilleuls devant le temple; l'un d'eux est encore existant, aujourd'hui, en 1990.[1]
        Malgré une magnifique plaidoirie vantant les mérites de SOUHÉ (bon air, bonne eau, gens travailleurs avec bon esprit, pas de cabaret ni de billard, etc.) aucun pasteur ne viendra.

        Il manque aussi un presbytère. Nieulle a beau avoir moins de fidèles, il y a temple et presbytère, donc il y aura un pasteur. SOUHÉ ne s'en remettra jamais !
       Le pasteur de Nieulle, Amer Pellet, arrivé en 1841 et mort en 1891, est le premier pasteur à y officier. Plus tard, ce sera le pasteur Bourdery qui y prêchera de 1914 à 1943 !
       Ensuite SOUHÉ est desservi par les pasteurs de Marennes, puis, peu à peu, tout s'arrête.

        Délaissé des pasteurs et de ses fidèles, sa toiture effondrée en 1972, le temple est vendu le 8 août 1973 à la famille Cadenaule qui le transforme en maison d'habitation.

 

Ainsi naît un temple, par la volonté des paroissiens, ainsi disparaît un temple par la volonté d'autres paroissiens. Peut-être un jour son souvenir [2] sera-t-il immortalisé par le truchement de sa cloche, récupérée in extremis ? 

Claude GOULEVANT
In : Quelques temples en Saintonge maritime, 1991 - MHPC tous droits réservés


[1] Note du visiteur en août 2006. Les deux tilleuls ont disparus à la déception des Souhards.

[2] Voir “La feuille de Souhe” et ses “Souhe-venirs”.

 

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